Villy Walters nous livre ses mémoires sur Phil Mickelson
Dans ses mémoires Billy Walters, célèbre parieur sportif américain, publie un chapitre entier sur ses relations avec Phil Mickelson et l’addiction au jeu de ce dernier. A lire ci-dessous…

Je suis face à face avec le golfeur gaucher le plus célèbre du monde et je n’en crois pas mes oreilles. Nous sommes en avril 2017, lors d’une belle journée de printemps. Phil Mickelson est assis dans mon patio, à Carlsbad, en Californie, en train de regarder les surfeurs glisser sur les vagues d’un bleu étincelant de l’océan Pacifique, en contrebas.

À cette date, Phil avait déjà fait son entrée au Hall of Fame du golf et avait remporté quarante-trois tournois sur le circuit PGA. Nous étions amis depuis huit ans, huit ans pendant lesquels nous avions disputé de nombreuses parties de golf acharnées et pris de gros paris sportifs.

Phil me devait 2,5 millions de dollars à la suite de plusieurs paris perdus que j’avais pris pour lui. Sa dette courait depuis presque trois ans et elle continuait d’augmenter. Honnêtement, j’avais des choses beaucoup plus importantes à l’esprit, notamment un procès pour délit d’initié qui avait défié la chronique dans lequel je devais répondre à dix chefs d’accusation pour fraude boursière. Le procès au pénal avait duré trois semaines et s’était conclu le 7 avril – mal, pour moi.

J’avais perdu le plus gros pari de ma vie, en misant sur douze jurés à Manhattan en pensant qu’ils verraient que j’étais innocent du crime dont le gouvernement m’accusait.

Le jury – qui, par décision du juge, ignorait tout des actions illé- gales dont s’étaient rendus coupables les agents du gouvernement – m’avait déclaré coupable de tous les chefs d’accusation.

Phil était arrivé ce jour-là, dans son SUV noir customisé. Il s’était garé devant la propriété dans laquelle j’étais placé en détention à domicile avec un bracelet électronique autour de ma cheville droite qui contrôlait tous mes déplacements. J’avais soixante-dix ans. Je réorganisais mon entreprise pour qu’elle puisse continuer de fonc- tionner pendant mon incarcération en attendant une audience au tribunal en juillet qui serait un nouveau choc pour mon organisme lorsque le juge, faisant fi des réquisitions du ministère public d’une année et un jour d’incarcération, m’infligerait une peine de cinq ans.

Phil avait eu la possibilité de témoigner à mon procès – pour dire la vérité à propos d’éventuelles informations confidentielles sur une des deux actions que je lui avais conseillées. Pour des raisons que je décrirai en détail plus loin, Phil décida de ne pas témoigner en ma faveur. Comment m’étais-je senti ?

Complètement trahi.

Il n’était pas venu me rendre visite à mon domicile pour faire amende honorable ou son mea culpa, comme je le croyais. Il était venu pour enfin me rembourser l’argent qu’il me devait.

Je suis resté bouche bée en l’entendant se plaindre d’avoir perdu ses gros contrats de sponsor avec ExxonMobil et Barclays ainsi que 25 % du montant de son contrat avec KPMG. Il est même allé jusqu’à se plaindre de la dépréciation de 32 millions de dollars subie lors de la vente de son précieux Gulfstream V.

Alors que j’étais sur le point d’aller en prison après avoir perdu un procès qui m’avait coûté plus de 100 millions de dollars en frais d’avocats, en amendes et en restitution.

Je me disais in petto : des milliers de personnes feraient la queue pour un autographe de Phil, mais je donnerais cher pour pouvoir annuler mon partenariat avec lui.

Phil conclut notre entretien avec une bizarre invitation.

— Je vais rester dans le coin pendant deux semaines et demie. Cela te dit de faire une partie de golf ?

Avance rapide quatre ans plus tard.

Nous sommes le 23 mai 2021. Je suis sorti de prison depuis un an. Je suis assis avec Susan dans notre salon. Nous regardons sur l’écran de notre téléviseur des milliers de fans vociférants submer- ger le personnel de sécurité pour envahir le fairway du dix-huitième trou de l’Ocean Course, un parcours battu par les vents construit sur la pittoresque Kiawah Island, en Caroline du Sud. Leur héros conquérant, qui fêtera dans trois semaines son cinquante-cinquième anniversaire, est sur le point de devenir le plus vieux vainqueur d’un majeur de l’histoire du golf professionnel.

La scène se déroulant sur mon écran plat est surréaliste. Phil s’extrait de la marée humaine de fans, putter en main, pour aller remporter une victoire épique. Et pour être totalement franc, j’ai beaucoup de mal à savoir quoi en penser. Pas du moment de gloire de Phil.

Je suis absolument ravi pour le golfeur et le sport que j’aime profondément.

Non, je réfléchis à notre amitié brisée. Je me remémore le déroulé des événements, en déconstruisant mes émotions, pièce par pièce :

Qu’aurais-je fait à la place de Phil, si j’avais dû choisir entre aider un ami à conserver sa liberté et refuser de répondre aux questions devant un tribunal ?

Aurais-je abandonné cet ami quand il avait le plus besoin d’aide ? Aurais-je aidé les feds à condamner un ami pour sauver ma peau ? Après avoir vu entrer le dernier putt et la foule acclamer chaleureusement Phil, je me suis dit in petto que les gens ne lui témoigne- raient jamais autant d’affection s’ils le connaissaient aussi bien que moi.

Avance rapide neuf mois plus tard.

Février 2022. Phil est passé du statut de prince à celui de paria à la suite de sa décision de rejoindre le LIV Golf, le circuit financé par l’Arabie Saoudite, en contrepartie d’un montant de 200 millions de dollars. Mais Phil ne s’est pas contenté de rejoindre le LIV : il a tout fait pour convaincre plusieurs autres pros de quitter le circuit PGA.

Dans une interview avec Alan Shipnuck qui a écrit plusieurs livres sur le golf, Phil a traité les Saoudiens de « salopards effrayants avec qui on n’a pas envie de travailler. » Et il ne s’est pas arrêté là.

— Nous savons qu’ils ont assassiné [Jamal] Khashoggi [le journaliste du Washington Post et résident américain] et qu’ils n’ont aucun respect pour les droits humains. Ils exécutent les homosexuels. Sachant tout cela, pourquoi envisagerais-je de travailler avec eux ? Parce qu’il ne se représentera jamais une telle occasion de changer le fonctionnement du circuit PGA.

Phil critique les tactiques d’« intimidation » du circuit qu’il qua- lifia de « manipulatrices » et de « coercitives. » Dans une précédente interview dans Golf Digest, Phil s’était plaint de l’« odieuse avidité » du circuit PGA. Ce même circuit PGA qui avait versé à Phil 96,4 millions de dollars en dotations en 2022 – plus que qui- conque dans la discipline hormis Tiger Woods. Sans parler des plus de 800 millions de dollars en contrats équipementiers, des sponsors et des gains hors parcours.

Le public commençait à voir un aspect de Phil Mickelson que beaucoup de ses concurrents sur le circuit PGA et d’autres insiders connaissaient depuis des années.

Phil décida de prendre ses distances par rapport au golf, un exil qu’il s’est auto-infligé. Il fit son retour à la vie publique en juin 2022, la veille du premier tournoi du LIV dans les faubourgs de Londres, qu’il s’était engagé à disputer. Deux mois plus tard, Phil révéla dans une plainte déposée contre le circuit qu’il avait été sus- pendu jusqu’à mars 2024. (Le circuit annonça, en juin 2023, qu’il envisageait une fusion avec LIV Golf. Une annonce qui prit tout le monde de court.)

Après l’annonce de sa suspension, Phil fit un premier acte de contrition en accordant une interview téléphonique à Bob Harig de Sports Illustrated dans laquelle Phil exprima des « regrets » à propos des erreurs qu’il avait commises dans sa vie, notamment une « addic- tion en dehors des parcours [qu’il devait] vraiment soigner ».

— J’ai offensé beaucoup de gens et je m’en excuse sincèrement. Ma dépendance aux paris sportifs avait pris des proportions dangereuses et embarrassantes. Je devais y remédier. Et c’est ce que je fais depuis quelques années… pendant des centaines d’heures de thérapie.

Phil n’a donné aucune précision à propos de ses habitudes de jeu « dangereuses et embarrassantes ». Je vais donc vous donner un exemple.

En septembre2012, Phil se trouvait au Country Club de Medinah, dans les faubourgs de Chicago. C’était là que se déroulait la 39e Ryder Cup opposant les États-Unis à l’Europe. Il m’a appelé pour me dire qu’il était absolument certain que l’équipe américaine, emmenée par Tiger Woods et Phil lui-même, reprendrait la coupe aux Européens. Il était tellement confiant qu’il m’a demandé de parier 400 000 dollars pour lui sur la victoire de l’équipe américaine.

Ce jour-là, aussi, je n’en avais pas cru mes oreilles.

— Tu as perdu l’esprit ? Tu as oublié ce qui est arrivé à Pete Rose ? L’ancien manager des Reds de Cincinnati banni par la MLB pour avoir parié sur sa propre équipe. Tout le monde te considère comme le nouvel Arnold Palmer. Tu risquerais tout ça pour gagner une poignée de dollars ? Sans moi.

— D’accord, d’accord, m’avait-il répondu avant de raccrocher.

Je ne sais pas si Phil a pris ce pari. J’espère qu’il a repris ses esprits. Ce qui lui aurait évité d’être doublement victime du « Miracle de Medinah ». Menés 10 à 6, au début de la dernière journée des simples, les Européens ont réussi le plus grand come- back de l’histoire de la Ryder Cup : ils ont remporté huit des douze dernières rencontres, fait le nul sur la neuvième et n’en ont laissé échapper que trois pour battre les Américains d’un seul point, 14,5 à 13,5.

La défaite de Phil d’un point face à Justin Rose, ce fameux dimanche, contribua à cette incroyable défaite.

Comme vous pouvez le constater, ma relation avec Phil est une saga extrêmement plus complexe, notamment dans tout ce qui a trait au golf et aux paris sportifs. J’étais un mentor, un confident, un ami loyal, un partenaire de golf et un associé en paris sportifs. J’ai vingt-quatre ans et un mois de plus que Phil, mais cette différence d’âge s’estompait lorsque nous parions, lorsque nous jouions au golf, lorsque nous passions du temps ensemble.

Les spéculations allèrent bon train dans les médias, le monde du golf, sur Twitter et un peu partout à propos de ce que je raconterais à propos de Phil dans ce livre. La plupart pensait que j’y réglerais quelques comptes et que Phil avait pas mal de souci à se faire.

Après avoir beaucoup réfléchi à la question, j’ai décidé de rétablir la vérité et de laisser les faits parler d’eux-mêmes. Il ne s’agit pas de dénigrer Phil ni de s’appesantir sur sa dépendance aux paris sportifs. Je veux seulement révéler toute la vérité sur notre relation, notamment concernant notre partenariat dans les paris sportifs et les transactions boursières qui m’ont conduit en prison. Toutes ces informations n’avaient encore jamais été rendues publiques. À vous de vous forger votre propre opinion à son propos. Ceci dit, je ne parlerai pas de sa vie privée. Je laisserai cela à d’autres s’ils choi- sissent de le faire.

Nous nous sommes rencontrés en 2006, à l’AT&T Pro-Am de Pebble Beach, dans le nord de la Californie. Freddie Jacobson, le golfeur professionnel suédois, et moi avions passé le cut et, le destin aidant, nous avons disputé les deux journées suivantes face à Phil et son partenaire amateur, Steve Lyons, le vice-président du marketing sur le marché nord-américain de Ford Motor Company, un de ses sponsors.

Phil et Freddie rendirent deux cartes de 77 et terminèrent à la trente-huitième place, ex aequo. Tout au long du dernier jour, Phil et moi n’avons parlé que de sport, faisant à peine attention à l’envoûtante beauté de la péninsule de Monterey et d’un de mes parcours préférés. Il était évident qu’il était au courant de mes succès en paris sportifs et essayait d’orienter la conversation vers le sujet.

Malgré son score élevé ce jour-là, Phil était au summum de sa carrière de golfeur. Au fil des années, j’ai joué avec beaucoup de pros du circuit PGA et, en toute honnêteté, Phil était bien au- du genre à être capable de perdre un tournoi pour réussir un coup miraculeux. Un joueur comme je les aime !

Au fil des années, Phil et moi avons joué quelques dizaines de parties de golf ensemble, la plupart dans le sud de la Californie, au Country Club de La Jolla, au Grand Del Mar, au Country Club Del Mar, au Rancho Santa Fe, au Farms, au Bridges, au Plantation et au Madison.

Jim Colbert, une légende du circuit, a joué avec nous une fois ; nous avons joué avec le frère de Phil, Tim, un garçon très sym- pathique au demeurant, deux ou trois fois. Et aussi avec Dustin Johnson et Ben Crane au Madison. Mais la plupart du temps, c’était juste Phil et moi. En jouant, nous discutions d’une foule de sujets – sport, affaires, paris sportifs, la vie en général.

Nous jouions pour de l’argent, mais uniquement pour mettre un peu de piment. Un pari sur les dix-huit trous, pas sur chaque trou. Le montant était faible, 10 000 dollars généralement. Si la partie se terminait de bonne heure, nous faisions un quitte ou double sur la moitié du montant.

La plupart du temps, nous partions des mêmes tees et j’avais six à sept coups de handicap. Une lutte acharnée tout du long.

Au final, je suis certain que Phil n’a jamais perdu un cent contre moi sur les parcours. Je dirais que nous étions à égalité, mais nous ne jouions pas pour l’argent. C’était juste un affrontement entre deux hyper-compétiteurs qui voulaient à tout prix battre leur adversaire. Même dans une partie sans enjeu, nous nous serions battus de toutes nos forces. Pendant toutes ces heures pas- sées ensemble sur les parcours de golf, je pensais que nous étions devenus des amis.

En mai 2008, j’ai été invité à disputer un autre Pro-Am, le Wachovia Championship à Charlotte, en Caroline du Nord, par l’établissement bancaire sponsor du tournoi. J’ai croisé Phil dans le vestiaire. Cette fois, il s’est montré plus direct.

— On m’a dit que vous preniez des associés.

— En effet. Mais seulement avec des gens qui ont accès à des endroits où je ne peux pas parier. Ou à des endroits dans lesquels ils peuvent parier plus d’argent que moi.

Phil avait accès aux deux. Après cette rencontre au Wachovia, nous sommes restés en contact et nous avons conclu un partena- riat pour paris sportifs qui dura cinq ans. Pendant cette période, j’ai vu beaucoup de choses chez Phil qui m’ont fait penser à moi, plus jeune, lorsque j’étais consumé par le jeu et que j’utilisais ma conces- sion automobile pour financer cette addiction. J’adorais son énergie et sa personnalité.

Plus d’une fois, au cours de notre partenariat en paris sportifs, je me suis senti obligé de lui donner des conseils discrets pour lui évi- ter de commettre les erreurs qui m’avaient pourri la vie, plus jeune.

Dès le départ, nous avions convenu – oralement – de tout parta- ger fifty-fifty. Phil apportait la moitié des fonds ; j’apportais l’autre moitié. Nous mettions ainsi en commun les risques et les gains.

Phil m’avait dit avoir deux comptes à l’étranger qui accepteraient des montants de mise élevés. Pendant toutes les décennies où j’ai travaillé avec des associés et des prête-noms, je n’ai jamais rencontré un joueur ayant des limites supérieures à celles accordées à Phi. Vous n’avez pas ce genre de comptes sans miser plusieurs millions de dollars.

J’avais accepté ce partenariat pour des raisons simples. Vu ma réputation dans l’univers des paris sportifs, mes limites chez les deux bookmakers de Phil étaient de 20 000 dollars pour un match universitaire et 50 000 dollars pour un match pro. Même avec notre par- tage fifty-fifty, les limites de Phil de 400 000 dollars sur un match universitaire chez ces deux bookmakers étrangers et de 400 000 éga- lement sur la NFL me permettaient de doubler mes limites. Phil avait également une limite de 100 000 dollars sur les paris plus/ moins sur les rencontres universitaires chez ces deux bookmakers, vingt fois ma limite maximale.

De son propre aveu, Phil pesait environ 250 millions de dollars pendant notre partenariat (il gagnait 50 millions par an rien qu’avec ses contrats avec ses équipementiers). Nous avions convenu de faire les comptes chaque fois que nos gains ou nos pertes atteindraient 3 millions de dollars. En vérité, je n’étais pas plus inquiet de voir Phil me devoir 3 millions de dollars que je ne l’aurais été de voir un individu lambda m’en devoir mille.

Au début, j’ignorais tout des habitudes de paris de Phil ou de ses antécédents dans cette activité. J’ai donc effectué quelques recherches. Je voulais émuler ses schémas de paris pour que per- sonne ne découvre que c’était Billy Walters, et pas Phil Mickelson, qui pariait. J’ai imité ses schémas, je pariais au même moment, des montants similaires, les outsiders ou les favoris. Je faisais de mon mieux pour rester dans son sillage.

Pendant les six premiers mois de notre partenariat, tout se passa à merveille. Les bookies à l’étranger ne repérèrent rien d’anormal dans les schémas de paris de Phil, hormis qu’il gagnait beaucoup plus sou- vent. Malgré tous nos efforts pour garder les deux comptes ouverts, les bookies étrangers n’ont pas tardé à les fermer. Ils ont dit à Phil que les paris étaient beaucoup moins erratiques que d’habitude. Ils savaient donc qu’il ne pariait pas seul. Ils lui ont dit qu’il pourrait reparier, mais uniquement s’il misait seul. Phil décida donc d’activer un ancien compte dormant pour notre partenariat.

Dès le départ, j’avais clairement expliqué à Phil que tous nos paris devaient être légaux et que le succès de notre partenariat repo- sait en grande partie sur la discrétion. Nous ne devions parler de notre accord à personne et il ne pouvait pas utiliser mes informa- tions pour miser auprès d’autres bookmakers.

J’avais la quasi-certitude qu’avant notre partenariat, Phil avait déjà franchi la ligne rouge à plusieurs reprises en pariant et je ne voulais pas participer à ce genre de malversation. Parce que j’avais engagé les plus brillants spécialistes en matière de législation des paris sportifs, je savais comment parier en toute légalité. Et j’ai dit à Phil que je ne l’acceptais comme partenaire qu’à condition qu’il s’en- gage à ne jamais s’écarter du droit chemin.

Mais Phil avait besoin de plus d’action. J’ai accepté de parier pour lui sur des rencontres sur lesquelles j’avais une position neutre ou qui ne m’intéressaient pas. Je me disais que les paris de Phil m’aideraient à camoufler les nôtres et me permettraient d’étendre mon marché.

Moins d’un mois plus tard, j’ai surpris Phil en train de prendre un pari dans mon dos et d’enfreindre notre accord. Je m’apprêtais à parier, pour notre compte, sur le match de NFL du lundi soir. Je l’ignorais, mais Phil avait vu mon pari et, sans ma permission, avait misé pour son seul compte chez les deux bookmakers qui avaient fermé notre compte commun. À la suite de son pari, ces book- makers ont immédiatement modifié le handicap sur la rencontre. Les autres books les ont imités tout de suite. À cause de ce chan- gement de handicap d’un point, mon pari n’était plus intéressant pour moi.

Il m’a suffi d’un seul coup de fil pour apprendre que le coupable était Phil. Je l’ai appelé et je lui ai fait part de mes inquiétudes à pro- pos de la légalité de sa façon de parier. Libre à lui de continuer de la sorte, mais je mettrais fin à notre partenariat. Il devait faire un choix. Phil s’excusa et promit de ne plus parier chez eux.

Mon partenariat avec Phil prit fin au printemps 2014, lorsque nous apprîmes que le gouvernement avait diligenté une enquête sur mes transactions boursières, un sujet que j’aborderai en détail dans un prochain chapitre.

Après la fin de mon association avec Phil, j’ai appris beaucoup plus de choses à propos de ses paris de deux sources très fiables dans le monde des paris sportifs. Elles m’ont dit qu’il n’était pas rare de voir Phil parier 20 000 dollars par rencontre sur un combiné improbable de cinq rencontres NBA. Ou de parier 100 000 ou 200 000 dollars sur une rencontre de football, de basket ou de base-ball. En m’ap- puyant sur l’historique des paris que j’ai placés pour Phil et d’autres tickets de paris fournis par les sources suscitées, voilà un aperçu des paris pris par Phil entre 2010 et 2014 :

  • Il a misé 110 000 dollars à 1,91 (pour en remporter 100 000) 1 115 fois.
  • Il a misé 220 000 dollars à 1,91 (pour en remporter 200 000) 858 fois. (Soit, pour ces 1 973 paris, un montant supérieur à 311 millions de dollars.)
  • Sur la seule année 2011, il a pris 3 154 paris – presque neuf par jour en moyenne.
  • Un jour, en 2011 (le 22 juin), il a pris 43 paris sur des rencontres de MLB qui se sont traduits par une perte de 143 500 dollars.
  • Il a parié sur 7 065 rencontres de football, de basket et de

base-ball.
Phil trouvait même le temps de parier pendant les tournois PGA.

Selon ses reçus de paris, entre 2010 et 2014, il a pris 1 734 paris sur des rencontres pendant 29 tournois, dont 70 sur le base-ball et des rencontres de présaison de football professionnel pendant le tournoi Barclays, en août 2011, dans lequel il a rendu une carte de 8 sous le par et terminé à égalité à la 43e place (il a gagné 415 000 dollars en paris ce week-end).

Le 11 février 2012, un samedi avec beaucoup de rencontres de basket universitaire, Phil a connu une journée noire et perdu presque 4 millions de dollars, selon les sources suscitées. Mais cela n’a eu aucune incidence sur la qualité de son jeu. Il a rendu une carte de 64 le lendemain et remporté l’AT&T Pro-Am de Pebble Beach en démolissant Tiger Woods de onze coups.

Toujours selon les mêmes sources, Phil a mis tellement de temps à régler ses dettes que plusieurs sites de paris étrangers ont refusé de prendre ses paris. Plusieurs documents dans un procès de blanchi- ment d’argent montrent que, lorsque Phil a enfin réglé ses dettes, l’argent a été transféré, au moins deux fois, de la société qui gère ses actifs vers une entreprise immobilière avec une note présentant les paiements comme un « investissement initial » ou des « fonds supplé- mentaires » – une tentative de dissimuler ses pertes au jeu.

En m’appuyant sur notre partenariat et ce que j’ai appris depuis d’autres sources, Phil a parié plus qu’un milliard de dollars au cours des trois dernières décennies. Je ne connais qu’une seule autre per- sonne qui a parié plus : votre serviteur. Sur une période de vingt ans, commençant au milieu des années 1990, les pertes de Phil ont avoi- siné les 100 millions de dollars. Un montant deux fois et demie plus élevé que les 40 millions de dollars évoqués par Alan Shipnuck dans sa biographie non autorisée de Phil qui s’est extrêmement bien vendue.

En toute honnêteté, vu les revenus annuels de Phil et sa situation financière, je n’ai jamais rien trouvé de choquant dans ses paris – et je n’y trouve toujours rien de choquant aujourd’hui. C’est un gros joueur, et les gros joueurs misent gros. C’est son argent. Il le dépense comme bon lui semble.

Le mardi 11 février 2014, j’ai rencontré Phil pour solder sa dette de 2,2 millions de dollars, le résultat des paris perdus qu’il m’avait demandé de prendre pour son seul compte. Nous avons déjeuné au Bridges, un des nombreux country clubs privés de San Diego auquel il appartient. Notre entretien a soudain pris des allures de scène de The Wire lorsque Phil m’a demandé de laisser mon téléphone por- table sur la table et de le suivre dans le vestiaire des hommes.

C’est quoi ce bordel ? me suis-je dit.

Après des années d’amitié, Phil se comportait tout à coup comme Tony Soprano. J’avais appris, récemment, que l’IRS enquêtait sur Phil et deux autres joueurs dans le cadre d’une enquête de blanchi- ment d’argent, je me suis donc dit qu’il craignait peut-être que son téléphone soit sur écoute.

Dans le vestiaire, Phil m’a expliqué que deux agents du FBI l’avaient abordé, plusieurs mois auparavant, à la fin d’un tournoi de la Coupe FedEx, à Boston. Phil m’a confié avoir cru, en voyant les agents monter à bord de son jet privé, à une blague d’autres joueurs pros.

— Mais ils ont commencé à me poser des questions sur toi et d’autres.

Il n’a pas dit qui étaient les « autres », mais j’ai supposé qu’il devait s’agir des deux joueurs soupçonnés de blanchiment d’argent. Phil m’a ensuite demandé de n’en toucher mot à quiconque,

parce que les agents du FBI lui avaient dit qu’il aurait des ennuis s’il m’en informait.

Précisément, Phil m’a dit que le FBI l’avait interrogé à propos de transactions boursières et de transferts d’argent. Il m’a expliqué leur avoir dit la vérité, mais qu’il craignait que les agents enquêtent sur lui pour une présomption de blanchiment d’argent.

Il évoqua ensuite le paiement des 2,2 millions qu’il me devait. — Est-ce que je peux les payer à quelqu’un d’autre que toi ?
— Bien sûr que non ! Si tu vires cet argent sur un autre compte,

c’est du blanchiment d’argent. Toi et moi n’avons jamais rien fait d’il- légal. Tu dois faire virer cet argent sur le même compte que d’habi- tude. C’est la seule option.

Après cette conversation, j’ai récupéré mon téléphone et quitté le club. Sur le parking, j’ai appelé mon avocat, Rick Wright, et je lui ai répété verbatim ce que je venais d’apprendre. Rick a pris des notes de notre appel.

Onze jours plus tard, pendant une partie de golf, Phil m’a donné plus de détails sur les interrogatoires du FBI. Il m’a raconté avoir répondu aux agents qu’il n’avait jamais eu, avec moi, une seule conversation qui l’ait mis mal à l’aise, que je ne lui avais transmis que des informations « publiques » et que je n’avais jamais suggéré que Phil puisse me rembourser ses dettes de jeu en me donnant des tuyaux sur des actions.

Il m’a dit que les agents lui avaient demandé ce qu’il dirait s’il apprenait que j’avais gagné 25 millions de dollars sur certaines tran- sactions boursières.

À quoi Phil m’a dit avoir répondu :

— Tant mieux pour Bill. C’est quelqu’un d’honnête et de respectable.

J’ai rappelé à Phil que tous les paris que je prends – et les paris que nous avions pris ensemble – étaient complètement légaux. Je l’ai également rassuré en lui disant que j’avais des avis juridiques rédigés par des experts qui pouvaient le prouver.

— Si on te pose des questions sur moi, dis la vérité. Toi et moi, nous n’avons rien à cacher.

Si j’avais su que Phil réglait les dettes qu’il avait contractées auprès de sites de paris sportifs basés à l’étranger par l’intermédiaire de cer- taines entreprises, ce qui l’exposait à des poursuites pour blanchiment d’argent, je n’aurais jamais accepté le moindre partenariat avec lui.

J’étais déjà dans le collimateur du gouvernement et je n’avais pas besoin d’attirer encore plus l’attention. J’avais été mis en examen cinq fois avant de rencontrer Phil. Comme expliqué précédemment, j’avais veillé à ce que mon activité de parieur soit en totale confor- mité avec les lois américaines, en versant des millions de dollars à des avocats et en installant la plus grande partie de cette activité à l’étranger.

Je trouve les mots employés par Phil pour évoquer notre par- tenariat complètement hilarants. Deux semaines après ma mise en examen, à New York, pour délit d’initié, Phil s’exprima la veille du Memorial Tournament, le tournoi organisé, chaque année, par son fondateur, Jack Nicklaus, sur le parcours de golf de Muirfield Village, à Dublin, dans l’Ohio. Phil débuta la conférence de presse, le 1er juin 2016, en disant qu’il « regrettait d’avoir pris part à tout ceci ». Avant d’ajouter : « Je suis ravi que tout ceci soit terminé, que tout ceci soit fini, que tout ceci soit derrière moi. »

Interrogé par les médias à propos de son association avec des parieurs (en d’autres termes : moi), Phil a répondu : « Je dois faire plus attention aux personnes avec lesquelles je m’associe. À partir de maintenant, je ferai tout mon possible pour veiller à ce que mon nom, ma famille et mes entreprises ne soient plus associés à ce genre de personnage sulfureux. »

En juin 2022 – six ans après ces déclarations –, Phil n’a pas eu le moindre scrupule à rejoindre les « salopards effrayants » qui ont tué le journaliste Jamal Khashoggi et lui ont versé 200 millions en pétrodollars saoudiens.

Avec le recul, il est facile de voir toute l’hypocrisie derrière les déclarations de Phil.

Le fait est qu’il a l’habitude de s’associer à des individus sulfureux.

Un an avant son partenariat avec les Saoudiens, Phil a été associé à « Dandy » Don DeSeranno. Citant des retranscriptions de procès jamais rendues publiques jusque-là, le Detroit News publia un article, le 21 juin 2021, intitulé « Lefty and Dandy Don : How a Grosse Pointe Bookie Allegedly Cheated Phil Mickelson.72 »

L’article présentait DeSeranno comme un des plus gros parieurs de l’histoire de Detroit… qui prenait également des paris pour des célébrités lorsqu’il était en charge de l’accueil des flambeurs dans un casino de Las Vegas et qui avait exercé l’activité de bookmaker de 1994 à 2002. Les retranscriptions du procès révélaient qu’un book- maker en lien avec la mafia… était accusé d’avoir escroqué Phil pour un montant de 500 000 dollars.

Le News avait lu les noms de DeSeranno et Mickelson dans les retranscriptions du procès pour racket de Jack « Jackie the Kid » Giacalone qui s’était déroulé en 2007. Jackie the Kid est le neveu d’Anthony « Tony Jack » Giacalone, le défunt parrain de la mafia de Detroit qui était censé rencontrer Jimmy Hoffa, le jour de la dispa- rition du leader syndicaliste, en 1975.

Phil est également très proche de Bryan Zuriff, l’ancien produc- teur exécutif de la série à succès de Showtime, Ray Donovan.

Phil a collaboré avec Zurrif, notamment en participant à la créa- tion et à la production de The Match, une série sur le golf diffu- sée sur Turner Sports dans laquelle les meilleurs pros affrontent des célébrités comme Tom Brady, Aaron Rodgers, Charles Barkley et Peyton Manning. Phil est la vedette du premier épisode, dans lequel on le voit battre Tiger Woods dans un match de vingt-deux trous au Shadow Creek, à Las Vegas, et remporter une dotation de 9 millions de dollars.

Avant de créer The Match, Zuriff plaida coupable, en juillet 2013, pour sa participation à un vaste réseau de paris illégaux opérant sur la côte est et sur la côte ouest, en lien avec des groupes issus des mafias russe et américaine. Zuriff était un des trente-quatre indivi- dus accusés d’appartenir à un réseau entretenant des liens avec deux entités appartenant au crime organisé, soupçonnés de s’adonner à des activités de racket, de blanchiment d’argent, d’extorsion et d’or- ganisation de paris illégaux.

Zuriff plaida coupable et admit avoir « organisé son propre réseau de paris clandestins à Los Angeles », accepté plusieurs millions de dollars de paris par l’entremise de comptes ouverts sur des sites de paris en ligne clandestins et « participé » à un « vaste » réseau de paris illégaux à New York pour « millionnaires et milliardaires ».

Zuriff a été condamné à une peine de six mois de détention à domi- cile sous surveillance électronique, deux ans avec sursis, 300 heures de travaux d’intérêt général et une amende de 20 000 dollars.

En juin 2022, je regagnais ma voiturette de golf après avoir frappé quelques balles sur le practice de mon club, à Rancho Santa Fe, lorsque je vis Phil approcher. Cela faisait cinq ans que nous ne nous étions pas adressé la parole. Il ne m’avait même pas envoyé ne serait-ce qu’un petit mot pendant mon séjour en prison.

— Comment vas-tu ? Cela fait plaisir de te voir en train de jouer au golf. Je suis heureux de te revoir.

Une bonne dizaine de membres du club qui rejoignaient ou quit- taient le practice nous ont aperçus. Ils étaient au fait de notre dif- férend. On aurait pu croire que quelqu’un avait lancé une boule puante dans notre direction ; personne ne s’approcha à moins de dix mètres de nous. Notre conversation dura moins de dix minutes.

Nous échangeâmes quelques banalités. Après quoi Phil tenta de justifier sa décision de ne pas témoigner à mon procès. Il m’expliqua que c’étaient ses avocats qui n’avaient pas voulu qu’il réponde à des questions à la barre.

Je l’ai coupé net. C’était la même excuse bidon qu’il m’avait sortie lors de notre dernier entretien, chez moi, à Carlsbad, au printemps 2017.

— Arrête ton baratin. Ne me prends pas pour un imbécile. Ils voulaient juste connaître la nature de notre relation. Tout ce que je voulais, c’était que tu racontes toute la vérité à la barre.

Phil bégaya et bredouilla quelques sons inintelligibles avant de lâcher un simple :

— Je suis désolé.

Le timing de ses excuses tardives ne m’avait pas échappé. Phil n’avait pas ménagé ses efforts pour prendre ses distances avec moi, en se fendant notamment de deux communiqués de presse. Le plus récent datait de janvier 2021, lorsqu’il s’était senti obligé de déclarer publiquement – et à juste titre – qu’il n’avait en aucun cas appuyé ma commutation de peine, contrairement à ce qu’un communiqué publié par la Maison-Blanche avait pu laisser croire.

Je soupçonne Phil de ne s’être excusé que parce qu’il devenait un paria dans le monde entier à la suite du fiasco du LIV Golf. Il savait qu’il avait trahi notre amitié. Et il savait que j’écrivais le livre que vous êtes en train de lire.

Désolé, je ne te le fais pas dire.